expositions


EXPOSITION, LA VIE SILENCIEUSE du 9 au 23 décembre
FRANCESCA MANTOVANI
Soliloque d’un petit pois
« Tandis que je prononce ce mot (entendez-vous ?) un silence se fait :
Le silence qui est autour des choses.
Tous les mouvements s’allongent, deviennent contour
Et les temps passés et futurs se referment en une essence durable
L’espace, le grand calme des choses que rien ne presse »
Rainer Maria Rilke
Je ne suis qu’un petit pois. Un simple petit pois. Toujours humble, toujours à ma place. Je n’ai rien de féerique même si l’on raconte que j’ai empêché une princesse très douillette de dormir! Autrefois je grimpais dans tous les jardins potagers des bourgeois comme des ouvriers ou des curés, et il fallait du temps pour me cueillir puis m’écosser, car je suis protégé par une très jolie cosse verte translucide et bien craquante. Bien rond, je saute et je roule, et ma couleur est si pimpante que l’on a fini par me donner le nom d’une couleur : vert petit pois. Je suis le symbole du printemps. Aujourd’hui, nous les petit pois sommes devenus gentiment surannés. La réclame « on a toujours besoin d’un petit pois chez soi » est complètement démodée, personne ne s’en souvient. Les enfants n’écossent plus de petit pois avec leurs mamans en riant. Ils ne nous connaissent que surgelés ou mous et verdâtres dans une boîte de conserve. Ils lisent à la télévision qu’il faut manger cinq fruits et légumes par jour, mais ils ne savent rien de nous, rien du tout. Sauf Francesca.
Francesca a le chic pour nous observer. Elle sait où nous trouver sur les marchés ou dans les potagers ou dans telle et telle région. Elle nous réunit, nous scrute, fait le vide autour de nous pour mieux nous ciseler, nous faire respirer, mieux écouter le bruissement de nos souvenirs, ausculter le chuchotement de notre long silence une fois que nous avons été cueillis, arrachés à la terre, sortis de la mer. Elle nous recompose, au propre comme au figuré. Elle nous dépose, isolés ou en famille, nous accompagne d’un ustensile familier, jatte ou panier. Elle nous caresse des yeux avec complicité. Elle ne nous voit pas comme des objets inertes, encore moins défunts, mais comme des légumes ou des poissons humblement immobiles. Elle fixe avec les techniques photographiques qu’elle a mises au point elle-même, notre chair, la peau, la pulpe, ce qui fait de nous un cadeau des dieux, une bénédiction de la vie. Elle entre ainsi en contact avec le souffle ténu de notre « âme ». Oui, objets inanimés avez-vous une âme ? Sommes-nous une offrande, un cadeau que nous vous faisons,spectateur, ou sommes-nous le remerciement que Francesca accroche au mur comme des ex-voto ? Ou les deux.
La photo est une alchimie, elle parvient à libérer et représenter notre esprit caché. Le miracle recherché par Francesca est de « reproduire » cet esprit invisible. Non pas notre nature morte, mais notre nature mystérieuse, si proche de la vôtre, frères humains. Elle a compris que notre force, notre puissance d’êtres vivants tient à notre silence. Elle sait qu’à travers les natures mortes qu’il peint ou photographie, l’homme cherche à se projeter, donc à reconnaître des signes, des symboles, des présences pour mieux se connaître lui-même.
Je ne vois que Giotto, depuis les fresques de l’Antiquité, à avoir ainsi « incarné » d’humbles objets évoquant la vie quotidienne en leur insufflant une présence d’une pareille intensité. Ou encore les surimono, ces estampes japonaises du XIII° siècle sur lesquels de courts poèmes s’accompagnent des modestes compagnons de la vie ordinaire, un pompon rouge, un nuage, un peigne, le dessin du Mont Fuji, une aubergine bien luisante, une boîte à encens, des bâtons de charbon bien noirs… On critique toujours, avec raison, l’inexactitude du terme « nature morte ». Avant Diderot, au XVII° siècle, on utilisait l’expression « vie coye ». L’adjectif « coye », coi - silencieux, reposé, tranquille – était en effet plus proche de « still » - qui ne bouge pas - que l’on retrouve dans le still life anglais, ou le still leven hollandais.
Cette immobilité, cette fixité étrange joue le rôle d’un miroir et déclenche un véritable transfert. En fait, nous, les objets tranquilles, nous vous offrons juste avant notre pourrissement, un double miroir: Nous vous renvoyons le monde invisible tapi derrière notre apparence après vous avoir tendu votre propre image. Francesca a compris ce mouvement de passe-passe, ce double échange et c’est le point trouble, ambigu de ses photographies. Certes on les dirait peintes tellement elles sont lumineuses, précises, comme léchées, soyeuses. Le fond y est à la fois opaque et lustré, il absorbe autant qu’il révèle. Il est photographiquement révélant. Lorsque l’œil du spectateur se sera habitué, avec la lenteur voulue, il saisira un nombre de plus en plus grand de données, de choix, de détails. Ils surgiront de cet énorme espace noir, sorte de nuit des temps abyssale, intensément sombre, dans lequel semblent flotter ces fruits, ces blettes, ces pois, ces huîtres, ce chou mais aussi cette assiette, ce pichet, cette corbeille… le long d’un horizon à peine discernable. Ils émergent d’un fond lisse qui va du noir bleu, tire au noir brun, s’éclaircit jusqu’au noir gris, selon la lumière qui vient frapper la toile. Et les questions fusent. L’ambiguïté s’installe. Est-ce bien d’une toile qu’il s’agit ? Ce gouffre noir représente-t-il la fin ou le commencement ? Nature ou Artefact ? Le trouble est fascinant. La luminosité, tantôt nacrée, tantôt mate, jamais transparente, reste insondable. Ces photos reposent, et cela semble contradictoire, sur la définition même de l’obscurité immatérielle. On touche au mystère du clair-obscur.
Les sentiments d’impermanence, de léger regret, de temps qui passe, d’éphémère figé, bref les états d’âme à la délicatesse fragile qu’inspirent les photos de Francesca Mantovani, contiennent aussi, et ce trait n’en est pas le moins bizarre, une grande force. Empreints d’une mélancolie imperceptible, ils peuvent aussi être regardés comme une interrogation porteuse d’une douce violence. C’est en cela que ce travail est bien contemporain, dans ce questionnement sur la représentation aujourd’hui, sur le mélange des genres, sur la complexité de l’abondance des images, sur le trouble qu’elles ne peuvent plus manquer de procurer. Elisabeth Védrenne, Critique d’art à Connaissance des arts
KARINE BOULANGER
Quêtes
La série des Bushfires : Entre 2000 et 2010, dans mon travail, j’ai cherché la lumière. À Paris, pendant d’interminables hivers gris, j’ai travaillé des fonds dorés et argentés pour que, de la toile, jaillisse la lumière. Comme dans les icônes byzantines, l’or et l’argent comme un espace spirituel, permettant d'échapper à la représentation d'un espace réel qui m’oppressait. Eternel noce et divorce du corps et de l’esprit.
En 2010, j'ai émigré en Australie. Un pays inondé de soleil, d’espaces vierges et d’horizon. En terre inconnue, déliée de ce que je connaissais, encore déconnectée de mon nouvel environnement, la quête de la lumière ne faisait plus sens : la lumière était partout ! Modification de toutes les perceptions. Le corps occupant un autre espace, l’esprit cherchait sa place.
En 2013, de gigantesques incendies se sont déclarés dans les Blue Mountains, aux alentours de Sydney. Toute la ville s’en est trouvée transformée, des coulées de fumée jaune et grise ont occupé le ciel, l'odeur de bois brûlé a envahi les rues. La presse et la télévision dévidaient les images du drame. Et je ne pouvais m’empêcher de m’émerveiller devant ces paysages embrasés, les subtils ou violents rapports de tons, les superpositions de flammes, troncs, silhouettes. Exubérante beauté du feu, fulgurante présence. Danse. Rythme crépitant des flammes se divisant en milliers de particules de couleur ignées. Détonations, ronflement, jaillissement, rougeoiement, extrême mobilité, joie féroce et ardente.
Je me suis rendue dans ces forêts blessées. Je les ai arpentées pendant un mois, cherchant à intégrer les émotions et sensations suscitées par les paysages irréels, les troncs braisillants, les formes incandescentes et éphémères redessinées par le feu, les sols jonchés de cendres. Des paysages vides d’humains que traversait, de temps à temps, un camion de pompiers. Puis, au terme d’un mois, dans ces forêts noires et grises, le vert intense des jeunes pousses. Résilience, verticalité et vérité des arbres. Dignité et puissance des fûts calcinés et malgré tout debout, porteurs de vie, parfaits traits d’union entre la terre et le ciel.
Paradoxe du feu, destructeur et purificateur, libérateur et dévastateur, catalyseur de la transformation. L’évolution de ce paysage en mutation a fait écho dans mon histoire. Comme dans les contes initiatiques, j’ai traversé la forêt, brûlant symboliquement ce qui n’était plus nécessaire pour commencer quelque chose de nouveau.
Passer de la lumière à la couleur. Revenir à l’instinct et l’intuition de la couleur, au désir et à la joie de créer. Eternelles retrouvailles du corps et de l’esprit. Et initier une nouvelle quête.
La série des broderies : Les broderies se sont imposées à moi de façon inespérée... J’ai initié ce travail en partant du sentiment que m'inspire la peinture aborigène, dans la répétition des gestes (les points), comme une sorte de méditation. Le projet initial s’est transformé lorsque les aplats de couleurs sont apparus. En réalisant cette série, je me suis sentie "portée", laissant mon intuition me guider… jusqu’en Inde où j’ai trouvé au couvent St Joseph, à Pondichéry, les doigts de fées dont j‘avais rêvé. Vingt brodeuses enthousiastes se sont consacrées à la réalisation des pièces de la série. Chacune des femmes a passé un mois sur chaque pièce. Chaque broderie porte le nom des brodeuses qui ont exécuté ce travail extraordinaire. Un travail porté de bout en bout par le temps des rêves, parsemé de rencontres humaines bouleversantes et essentielles. Pauline Alphen
galerie caroline tresca
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